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24 Heures du Mans Motos : Les 24 heures déments ?

Par Thierry Traccan, journaliste et pilote moto français, finisher du Bol d’Or et du Dakar, et rédacteur en chef de Moto Revue.

Avec une grammaire normalement respectée, j’aurais dû écrire « démentes », toujours ponctué d’un point d’interrogation, mais le jeu de mot aurait sonné un peu plus creux. Creux comme l’absence de bruit en Live de ces machines de l’EWC lancées pleines balles mais qui auront résonnées à blanc, 24 H durant, dans le circuit vidé de ses spectateurs de cette cathédrale du Mans.

Les 24 H du Mans n’avaient rien de dément cette année, mais on dira que cette compétition a eu le mérite d’exister. Un verre à moitié plein ou à moitié vide ? Tout dépend comment on le regarde, et comment on le goûte. Ce qui est certain, c’est que l’on doit apprendre à se contenter de ce que la période nous octroie. Du foot sans footballeurs (pas mal de cas positifs détectés parmi les têtes d’affiche), du tennis sans spectateurs, de la F1 et du MotoGP sans fans, des 24 H sans personne... Enfin si, avec des compétiteurs, certes moins nombreux qu’à l’accoutumée, mais motivés à l’idée de reprendre leur récit là où ils l’avaient laissé.

Alors bien sûr, on a pu remarquer l’absence de beaucoup d’équipes amateurs, impactées économiquement, déplorant mais comprenant le besoin pour leurs partenaires de sauver leurs boîtes avant d’imaginer parrainer leurs teams. Le Covid bouscule nos habitudes, malmène nos certitudes, challenge notre adaptabilité. Avec le temps, quand le virus sera derrière nous (souhaitons-le, le plus rapidement possible), nous en tirerons des enseignements. Des valises d’enseignement… Des caisses même…

Parmi elles, que le sport (professionnel) sans spectateur perd tout son sel. Bon, peut-être que les gladiateurs ne seraient pas de cet avis, surtout ceux dont le sort funeste a été scellé par des milliers de pouces pointés vers le sol… Mais dans notre ère moderne, rares sont les sportifs à ne pas apprécier se nourrir des encouragements du public. Là, on a vu des allées désertes simplement remplies de cailloux, des campings sans tentes, des fumigènes transparents, des rupteurs silencieux, un village commercial sans commerce, et sans village qui plus est, bref, rien. Coluche aurait dit : « la zone ! Pas un troquet, pas une mobylette, rien ! »

Bon enfin j’exagère, y’avait mieux que des mobs, il restait un plateau de choix, avec des équipes de pointe hyper motivées pour faire la course devant. Et ça a démarré pas mal, avant que les positions ne se figent rapidement, avec une Honda performante et sobre, tuant suspense et course de concert. C’est donc la toute nouvelle CBR 1000 RR qui remporta cette étrange épreuve, une victoire accueillie sous les vivas de la seule équipe technique Honda, mais une victoire pour l’Histoire.

Quoi qu’il se passe par la suite, celle là, on s’en rappellera. Ou on nous la rappellera. Bloqués dans nos canapés, même de loin, de très loin, nous avons tous, je crois, apprécié d’en avoir pu être les témoins. Même si cette 43ème édition n’a pas été, doux euphémisme, la plus excitante (pour ça, celle de 2019 et son finish haletant était parfaite) de toutes. Ces 24 H du Mans finalement, c’est un pas vers le retour à une certaine normalité.

Dommage que le Bol d’Or n’ait pu prendre son aspi. Coincé dans un calendrier dès le départ bien trop étriqué (trois semaines d’écart entre les deux courses), plombé par des coûts d’organisation plus élevés (au contraire du Mans, l’organisateur du Bol n’est pas propriétaire de son circuit), bringuebalé par des décisions politiques faisant varier si fort la jauge des spectateurs que même un joueur de poker reprendrait ses jetons, le Bol d’Or ne pouvait raisonnablement se tenir en 2020.

Il en aura été de même pour Suzuka… On prévoit une finale à Estoril, à condition que… Une saison tronquée, compliquée, asphyxiée. Le sport, et d’un point de vue éthique on peut se dire que finalement c’est heureux, ne bénéficie pas de traitement de faveur comparé aux autres décisions impactant la vie de la société.

Sous l’ère Covid, les politiques essayent de tenir un cap. On pourra toujours (et on devra) discuter des choix faits, mais des décisions ont, au moins, été prises. En attendant demain et notre retour dans les tribunes des circuits, on suivra ça à la télé, sur internet, on se plongera dans les journaux… L’Endurance est un effort de longue haleine, elle survivra au virus. Quant à nous, en attendant, on continuera de remonter l’élastique, avec ce plaisir jouissif que l’on imagine déjà au moment de le lâcher, juste avant de se précipiter rejoindre les potes, le bruit, la vie.          


@Crédit photo : Thierry Traccan 




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