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40 ans de passion moto

On ne les aura pas vu passer ces 40 années, des années folles, où la moto aura fait sa révolution permanente, portée par des avancées technologiques qui n’ont cessées de faire progresser matériaux et matériels vers plus de performance, mais aussi vers plus de sécurité.

Si à l’échelle d’une année l’évolution n’est pas forcément visible, quand on regarde plus longuement dans le rétro, on mesure le chemin parcouru depuis 40 ans. Dans la foulée (longue foulée) du débarquement de la CB 750 à la fin des 60, véritable détonateur qui mit le feu aux poudres, les motos n’ont eu de cesse de se tendre vers la performance. Un développement encouragé par une technologie en plein essor qui voyait, chaque année, apparaître de nouvelles solutions. Déjà le choix des motorisations, avec un 2-temps encore présent qui céda pourtant assez vite sous les coups de boutoirs assénés par des japonais bien décidés à asseoir la suprématie du 4-temps. Les dernières passations de pouvoir, en ce qui concerne les grosses cylindrées (le 2-temps vécu encore longtemps dans les plus petites cylindrées, jusqu’à 250 cm3, avant de n’être réservé aujourd’hui qu’aux motos de cross et donc non homologuées) se firent au mitan des années 80, avec en tête de file, celle devenue icône aujourd’hui, la Suzuki RG 500 sur laquelle tomba le rideau en 1986. Elle était avec les Yamaha RDLC 350 et 500, la Honda NSR 400, les dernières d’une époque que les japonais continuaient de proposer (plus que de développer) car établissant la jonction entre la grande production et la compétition. Le 2-temps, c’était l’occasion de communier au plus près avec les pilotes de GP 500, mais rapidement, cette volute de fumée aux parfums romantiques s’est évaporée du côté du soleil levant, et le développement des usines ne s’est plus fait que dans un seul axe, celui des moteurs à soupapes. C’était aussi l’occasion pour les japonais de montrer leur savoir-faire, et à partir des années 80, le 4-temps - et plus encore le 4-cylindres - devient la norme, la solution technologique devenue une direction dont on ne pouvait plus dévier. Telle s’impose la stratégie des marques japonaises qui règnent sans partage depuis les années 70 sur le paysage motocycliste mondial.

Au-delà des moteurs, c’est l’ensemble de ce qui constitue une moto qui ne cesse d’évoluer. Et chaque marque y va de son avancée. Tous les ans, un constructeur propose une nouveauté, et dans la plupart des cas, ces solutions techniques seront reprises par la concurrence, qui à son tour proposera quelque chose qui lui sera emprunté. Citons pèle mêle sur la période, le refroidissement liquide, le frein à disque, le mono-amortisseur, la fourche inversée, l’injection, puis les déclinaisons toujours plus en avant avec l’ABS évidemment qui aura révolutionné le freinage, le frein radial, l’électronique et son cortège de résurgences (suspensions pilotées, assistance au pilotage, modes moteur), les compteurs digitaux aux dimensions désormais de tablettes numériques, les systèmes de communication (+ multi médias), de navigation, etc. Jusqu’à l’électrique depuis peu, même si nous en sommes en 2021 à ce qu’on pourrait considérer être, au mieux, une déclaration d’intention.

Une joute permanente s’est tenue tout au long de ces 40 années, avec quatre constructeurs japonais (Honda, Kawasaki, Suzuki et Yamaha) qui n’ont jamais refusé le choc frontal, et qui, pour une histoire d’honneur déjà, ont toujours cherché à s’affronter sur un créneau commun. Ce créneau, pendant très longtemps aura été celui de la sportive. Les années 80, c’est aussi la période où l’on classifie les motos, où l’on nomme des familles capables d’accueillir les nouveaux modèles entrants. Avant, dans les années 60 et 70, on parlait d’abord de moto. Il n’y avait pas de genre, ou très peu, juste des modèles. Dans les années 80, on affirme les genres : les sportives, les trails, les routières, les customs… Et puis bien entendu les motos de cross, de trial et d’enduro, mais elles, on les appelait déjà ainsi avant. Dans les années 90, et plutôt vers la fin d’ailleurs, on inventa pour le marché la catégorie roadster. Depuis 2000, on compartimente encore davantage, de nouvelles niches se créent, et la tendance s’installe… Les néo-rétro par exemple avec en leur sein des sous-catégories : scrambler, café racer, etc. La nature humaine est ainsi faite qu’on aime ranger, savoir à qui on appartient.

Dans la famille sportive, et dans l’histoire récente qui nous intéresse ici, une moto aura joué un rôle de marqueur temporel : la Suzuki GSX-R 750. Présentée en 1984, commercialisée en 1985, cette machine aux performances inédites jusque-là met le feu aux poudres. Les sportives ont la cote, elles font le marché de la moto dès le mitan des années 80 et resteront au sommet, ou pas loin, jusqu’à la fin des années 90. Les marqueurs de cette époque s’appellent GSX-R 750 donc, puis Honda CBR 900 en 1992. Ce sera le second choc, la nouvelle claque, la nouvelle référence. Et celle-là, c’est le premier constructeur mondial qui l’assène. Autour, on plie mais on ne rompt pas. Depuis l’Europe, Ducati jouera une carte différente, ne se risquant pas dans la chasse gardée japonaise férue d’architectures à 4-cylindres en ligne. La montagne, la marque italienne choisit de l’escalader avec un bicylindre, et une machine à la beauté absolue. La 916 entre sur le marché en 1994. Quatre années plus tard, nouveau séisme en provenance de l’archipel japonais. Les secousses se feront sentir dans tous les pays occidentaux. Yamaha, discret jusque-là, dévoile la R1. Nouvelles performances, nouvelle référence. Aux autres d’encaisser le choc. Suzuki contre-attaque trois ans plus tard, mais avec une 1000 cm3 cette fois (la 750 continuera sa carrière en parallèle, mais avec désormais moins de succès). La GSX-R 1000, moins spectaculaire que la R1, devient sur la piste, et donc sur la route, une nouvelle référence. Les constructeurs japonais sont pris d’une frénésie folle et rivalisent d’inventivités et d’investissements pour offrir à leurs modèles toujours plus de performances. Le cycle de renouvellement devient fou. De la fin des années 90 jusqu’au milieu des années 2000, des nouveaux modèles apparaissent tous les 2 ans. En 600 cm3 comme en 1000 cm3, on veut de la nouveauté. Les performances des motos deviennent exceptionnelles. De 100 ch et 176 kg (à sec) pour la GSX-R 750 de 1984, on passe à 124 ch (mais 185 kg) pour la 900 CBR sept ans plus tard, à 150 ch pour 175 kg avec la R1 en 1998, et à 160 ch pour 168 kg avec la GSX-R 1000 millésime 2001… Les sportives sont la vitrine ultime des constructeurs, le témoin de leur meilleur savoir-faire. Peu importe que les utilisateurs ne puissent pas utiliser tout ce potentiel, l’industrie décide de leur offrir le meilleur. Après, celles qu’on appelle désormais hypersportives sont d’abords des engins de fantasmes. On se rêve avec plus qu’on exécute.

Et puis, le législateur a pensé à modérer les excès. Accompagnant cette nouvelle envolée de puissance, une loi est votée en 1984 et promulguée en 1985. La loi dite des « 100 chevaux ». Plus aucune moto vendue en France ne pourra désormais, dépasser cette puissance. Le coup est rude, mais les débridages massifs, et si beaucoup de motards portent dans leurs blousons une carte grise en règle, leurs motos, elles, le sont moins au regard de cette nouvelle loi. Plus que cette loi finalement assez facile à contourner, ce sera l’apparition dès 2003 des radars fixes qui freinera, non pas la course à la puissance et aux performances (toutes les sportives actuelles ont depuis bien longtemps dépassées le ratio poids/puissance de 1 : 1kg/1ch), mais simplement la vente des sportives. À force de répression, la vitesse n’a plus trop la cote. On cherche d’autres styles de motos. Ça tombe bien, depuis la fin des années 90, un nouveau genre s’est imposé dans l’hexagone. Le roadster. Du vent, un cœur de sportive mais avec du vent dans la tête pour calmer les ardeurs… Depuis l’apparition de la Suzuki Bandit 600 au milieu des années 90, les roadsters dominent sans partage le marché hexagonal de la grosse cylindrée. Tous les constructeurs en possèdent au moins un à leurs catalogues, souvent plusieurs. Du 125 au 1250 cm3, avec un, deux, trois ou quatre cylindres.

Des mécaniques qui partagent avec toutes les autres (celles qui motorisent d’autres genres : trails, customs, routières, GT, etc.) l’obligation depuis 1999 de répondre à des normes anti-pollution. Comme en automobile, des règles sont édictées pour rendre les véhicules à la fois plus propres, et plus sûres. Ça démarre donc avec Euro1 en 1999, puis Euro2 en 2003, Euro3 en 2006, Euro4 en 2017 et Euro5 en 2021. À chaque nouvelle norme, les constructeurs doivent redoubler d’inventivité et d’efforts pour y répondre. Les R&D sont mis au défi, et parfois - assez souvent même - des modèles qui existaient sous une norme disparaissent sous le couperet de la suivante, ne parvenant pas à passer l’écueil technique imposé. La réduction des émissions polluantes en premier lieu, mais aussi des systèmes de sécurité, à l’image de l’obligation de l’ABS pour toutes les motos au moment d’Euro4.

L’ABS, un système de freinage où l’on ne bloque plus ses roues. L’ABS comme le corollaire imposé par l’Europe pour obliger la France à mettre fin à la loi des 100 chevaux. Une loi nationale qui était en opposition depuis quelques années avec un droit européen s’imposant logiquement sur tous les règlements nationaux. Durant de nombreuses années, la France usa de recours pour maintenir cette loi aux accents d’exception culturelle, mais le 1er janvier 2016, elle dû y mettre fin. Les motos recouvrent leur plein potentiel, et quel potentiel ! Les sportives assument leurs fiches techniques, revendiquant des puissances (pour les 1000 cm3) dépassant largement les 200 chevaux, les roadsters les plus radicaux s’en approchent (175 ch) à l’image des KTM 1290 Super Duke et Aprilia Tuono V4. Même les trails, ce genre de motos nés au milieu des années 80 et s’inspirant des motos engagées au Paris Dakar, avec à l’époque pour têtes de file les Honda Africa Twin et Yamaha Ténéré, profitent de moteurs toujours plus performants.  Dans la famille des maxi trails, en 2021, certaines à l’image de la Ducati Multistrada valent près de 170 chevaux…

Une puissance retrouvée et d’abord énormément de puissance pour l’ensemble des catégories motos. On aurait pu croire que ce que redoutaient les pouvoirs publics en libérant la puissance allait arriver, à savoir une recrudescence massive du nombre de victimes sur nos routes. Ce ne sera pas le cas. Au-delà de l’encadrement massif de la vitesse sur nos routes désormais maillées de radars automatiques, les constructeurs ont apporté, de leur propre initiative, des réponses techniques permettant de contraindre l’accidentologie. Les pneus, seul contact entre le véhicule et la route, ont progressé d’une manière incroyable pour offrir des temps de chauffes immédiats (donc une efficacité optimale), des équipements pilotes de plus en plus protecteurs sont apparus via une avancée majeure incarnée par le gilet airbag, et puis au niveau des motos, une avancée tous azimuts s’est organisée entre la partie mécanique et électronique. Les suspensions et les freins tout d’abord, à la fois plus confortables et plus efficaces, les géométries de partie cycle mêlant habilement stabilité et maniabilité. Et puis l’électronique, l’avancée majeure (et constante) de ces dernières années qui assurent désormais au pilote un encadrement de ses actions, capables de rattraper ses erreurs comme d’accompagner sa conduite (et souvent sa progression). Citons ici le contrôle de traction qui jugule – le cas échéant – l’accélération en fonction du grip de la route, de l’inclinaison de la moto, du rapport engagé, etc. Pour faire simple, ce n’est pas parce que vous mettez à fond que votre moto partira à fond. Le cerveau électronique vérifiera que l’action radicale que vous demandez est bien compatible avec la réalité du moment. Un cerveau électronique qui s’ajoute au vôtre pour décider de l’intensité. Il y a aussi les modes de conduite qui proposeront des performances allant du tout « dégradé » (mode pluie) au plein potentiel. Plein potentiel une nouvelle fois surveillé par les assistances : contrôle de traction donc, mais aussi anti wheeling, contrôle de la dérive, ABS adaptatif (comme le contrôle de traction, l’ABS décide de la force de ralentissement en fonction de l’inclinaison de la moto, de l’adhérence), éclairage directionnel (suit l’angle de la moto pour mieux éclairer la route), etc. La nouvelle tendance est aussi au radar de détection qui régule automatiquement la vitesse en fonction des obstacles situés devant elle.

Des obstacles, l’électronique n’a eu de cesse d’en lever pour faire évoluer notre société toute entière, logique que la moto n’y échappe pas. Elle en profite même largement et en profitera davantage encore dans les temps à venir, améliorant d’autant la consommation, protégeant bien mieux le pilote (et donc les autres), encadrant la pratique, jugulant les excès, corrigeant les erreurs pour, au final, accompagner la progression… Depuis toutes ces années, la moto n’a eu de cesse de progresser, améliorant ses performances et sa sécurité, accroissant son champ des possibles, se démultipliant jusqu’à offrir pléthore de choix, dans tous les styles, pour tous les budgets, mais en ayant conservé l’essence de sa pratique, et sa raison d’être : vivre pleinement dans son environnement, ressentir toujours le vent, les odeurs, vivre dans l’Action, et dans une action qui vous engage, vivre au présent, dans un présent constant, même si ça fait 40 ans que ça dure…     

 

Suzuki GSX-R 750

Elle incarne à elle seule la sportive de l’ère moderne, une machine balayant d’un revers de fiche technique toute idée de concession. Avec son 4-cylindres refroidi par air/huile, ses 100 chevaux et ses 176 kg à sec (quand ses rivales en valaient souvent 20 de plus), elle devient, lors de son lancement en 1985, la nouvelle référence. Une moto pensée pour la course et homologuée pour la route. Une moto fougueuse qui réclame un savoir-faire certain, beaucoup de prudence, et énormément d’engagement. Lors de son lancement en France, le slogan qui accompagnait la nouveauté était : « née pour être une légende ». La firme d’Hamamatsu avait vu juste.    

 

Valentino Rossi

Difficile de choisir parmi tous les champions du monde motocycliste, mais il en est un qui se dégage puisqu’ayant eu une immense carrière, transverse non pas sur 40 ans, mais sur près de 30 ans. Né en 1979 en Italie, à Urbino, Valentino fait ses premiers pas à moto alors qu’il a à peine enlever les roulettes de son vélo. Ce sera un cheminement de champion, déjà des courses régionales, puis nationales, puis européennes et bien vite les Grand-Prix. De 1996 à 2021, il aura remporté 115 courses, signé 65 pole position, sera monté 235 fois sur le podium et obtenu 9 titres de champion du monde dont 7 en MotoGP. Un champion charismatique qui aura fait énormément pour la moto, la portant bien au-delà du sport. À 42 ans, Rossi marque désormais le pas en performance pure face à des rivaux plus jeunes. Patron d’écurie avec son team VR46 engagé en 2022 en MotoGP, l’italien hésite encore entre porter un casque ou une casquette la saison prochaine.  

 

Dakar

Plus de 40 ans, puisque c’est en 1978 qu’est lancé le premier Paris Dakar, course imaginée par Thierry Sabine. Une épreuve qui au départ est une pure aventure, avec des moyens de secours limités, avec des véhicules dont on ne sait pas vraiment si ils auront les aptitudes pour franchir les terrains escarpés et rugueux de cette Afrique sauvage. Plus qu’un sprint, pendant très longtemps le Dakar sera une course de (très) longue haleine, mettant à mal hommes et machines. Une épreuve qui fait payer un lourd tribut à ceux qui s’engagent dans cette quête. Pour beaucoup, le Dakar est la course d’une vie, et s’il est une comparaison à faire, c’est tout naturellement vers les courses au large en solitaire que l’on pense. Si la capitale sénégalaise sera très souvent la ville d’arrivée de cette course qui fait vibrer au cœur de l’hiver des millions de foyers français, elle ira parfois tout en bas du continent, au Cap, à la pointe de l’Afrique du Sud, avant de remonter jusqu’à Paris. Avec une Afrique en proie à des mouvements djihadistes, celui qu’on appelle désormais seulement « Dakar » s’exporte en 2008 sur un continent plus sûr politiquement, en l’occurrence l’Amérique du Sud. Il y restera jusqu’en 2019, pour rejoindre en 2020 le Moyen Orient et l’Arabie Saoudite. Sportivement, il y aura eu un « avant » et un « après » l’Afrique. En plus de l’endurance, les pilotes doivent désormais posséder des aptitudes de sprinteur. Les baroudeurs peuvent toujours y espérer vivre un rêve, ce qui est l’objectif de 90% des engagés, mais la victoire se réserve désormais aux attaquants purs. Obligée d’évoluer, de s’exporter, le Dakar demeure une course marquante, moins populaire assurément que durant les années 80 et 90, mais une épreuve qui dure, ayant réussi à ancrer dans le sable des racines solides.

 

L’airbag

Avancée récente dans le domaine de l’équipement des motards (même si le premier modèle date de 1998), l’airbag est LE matériel qui permet d’assurer une sécurité optimale aux utilisateurs de deux roues. Depuis une dizaine d’années, les matériels filaires et électroniques se sont multipliés, et chaque année ils se démocratisent toujours un peu plus. De quoi commencer à rentrer dans les habitudes des motards qui adoptent ces équipements faciles à loger sous un blouson ou une veste, et protègent le buste complet et les cervicales, limitant le risque de séquelles irréversibles.    

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