Rallye-raid

Retour sur la 42e édition du Paris - Dakar par Thierry Traccan

Né en 1971 à Auxerre, Thierry Traccan est un journaliste et pilote moto français, finisher du Bol d’Or et du Dakar, et rédacteur en chef de Moto Revue. Club 14 a sponsorisé le pilote lors de sa participation au Dakar en 2014.

 

Retour sur pierre… mais aussi sur sable… Et finalement sur terre. Retour sur mon canapé surtout, celui depuis lequel, tous les soirs peu avant minuit, je m’imprègne des images de ce nouveau Dakar. Après l’Afrique, après l’Amérique du Sud, c’est depuis le Moyen Orient et en Arabie Saoudite que le plus grand rallye-raid du monde continue d’écrire son histoire.

Une histoire qui n’a certes plus rien à voir avec celle gravée par ces pionniers qui sculptèrent l’épreuve au plus juste durant l’avant dernière décennie du 20ème siècle, mais qui continue de marquer les nouveaux entrants, comme il l’aura fait à chaque fois pour des générations de participants. D’où que l’on vienne et où qu’il se passe, le Dakar reste une immense machine à émotion.

Dans un univers minéral saoudien où les concurrents s’égarent sur des dédales de pierres, slalomant entre d’imposants rochers masquant paysage et lumière, les scénarios s’écrivent pour chacun. Pas forcément la même issue, pas la même lecture, pas le même jeu d’acteur, surtout que dans cet environnement, on se trouve à un moment (souvent même à « des » moments) ou à un autre face à soi-même, avec un masque qui tombe. L’instant où l’on se met à bégayer son rôle, quand l’artifice cède la place à l’essentiel, transformant l’instant en moment de vérité.

Et ce qui valait au cœur du Ténéré vaut toujours dans le désert d’Arabie. Comme il valut pour moi sous le soleil brûlant du désert de l’Atacama, au Chili. Déjà 6 ans que je suis rentré - et plus jamais reparti - de « mon » Dakar. Celui que je m’étais promis de faire « quand je serai grand », un jour de janvier 1987, au moment pile où Hubert Auriol venait d’entrer dans ma télé peu après 20 heures, pleurant sa déception d’abandonner, veille de l’arrivée alors qu’il avait course gagnée. Le Dakar était entré dans ma vie en même temps que la cuillère de soupe était tombée de ma bouche, et jamais plus je n’allais rater une édition, ni manquer une becquée.

Spectateur de canapé depuis plus de 30 ans, et acteur privilégié en 2014, année où j’abandonnais l’assise confortable de mon salon pour la selle bien plus rêche qui allait bringuebaler mon séant pendant 9 000 kilomètres. Le Dakar allait me marquer à tout jamais. Comme il marque tous les autres. Par des joies, par des peines, par des efforts et par des récompenses, par des souffrances et par ses moments de grâce, par sa majesté et par sa rudesse. Le Dakar est un Everest où les histoires de chacun sont celles de tout le monde. On le fait tous ce rêve… On l’a tous fait. Souvent. Un rêve qui s’entretient pendant des mois, parfois des années, un rêve qui porte et transporte, et un rêve qu’on ne veut surtout pas abandonner, acceptant pour le toucher du doigt de supporter des choses dont on ne tolèrerait pas la moitié dans un contexte normal. Le Dakar se forge dans la démesure, pourquoi en serait-il autrement pour ceux qui s’y frottent ?

En regardant les paysages majestueux de ce pays inconnu, je me remémore ceux que j’avais traversés, en Argentine, en Bolivie, au Chili, des contreforts de la cordillère des Andes au Salar d’Uyuni, en glissant jusqu’aux maisons colorées de Valpareiso en bordure de Pacifique, 9 000 kilomètres à en prendre autant dans les yeux que dans les bras. Ce ne sera pas les mêmes couleurs cette fois, ni le même océan, mais pour les concurrents ayant accepté d’y signer leur engagement, la certitude d’y trouver un défi sportif à la hauteur de la marque « Dakar ». Et pour ceux qui auront eu la chance d’en déjouer tous les pièges pour franchir la ligne d’arrivée, son cortège de sentiments mêlés oscillant entre délivrance et joie absolue. Après les goûtes de sueurs qui auront dessiné des rivières sur les corps des participants tout au long de l’épreuve, ce seront les larmes qui creuseront, bien plus sûrement, les derniers sillons sur des joues émaciées.

Crédit photos @ASO

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