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Daytona folies

Souvenir de motard : l'édition 2017 de la Bike Week de Daytona par Thierry Traccan. Né en 1971 à Auxerre, Thierry Traccan est un journaliste et pilote moto français, finisher du Bol d’Or et du Dakar, et rédacteur en chef de Moto Revue.

« Je ne sais pas si c’est la bonne décision, si on ne va pas le payer plus tard, mais chez nous en Floride, on continue de vivre normalement, on fait de la moto, on va à la plage, au resto aussi » Décidément, ils ne feront jamais les choses comme nous ces américains, pandémie de Coronavirus ou pas…

Alors que sur cette même Côte Est, mais tout au nord cette fois, on vit terré dans les quartiers de New York, tout au sud, dans « l’Etat du soleil », on profite de ses généreux rayons pour se dorer la pilule, et en masse pour peu qu’on le souhaite, rien ne l’interdit...

Depuis mon canapé, enfermé, je les imagine. Et j’avoue, je les envie. Mais vivre confiné, ça a aussi du bon, ça permet, de réfléchir, d’envisager, de retendre l’élastique en préparant la suite, et dans la suite, l’ambition de retourner justement début mars en Floride, du côté de Daytona, pour vivre une nouvelle fois cette incroyable Bike Week.

Une semaine qui dure plutôt 10 jours d’ailleurs, 10 jours centrés à 100% autour de la moto. La Bike Week de Daytona et sa météo si clémente, ce plaisir de se balader en tee-shirt début mars quand en France, on claque des dents. La Floride de fin d’hiver, il y a pire comme destination. D’après les locaux, on débuterait d’ailleurs la meilleure période de l’année. Le point de départ de quelques mois de pur plaisir avant d’entrer dans les chaleurs d’été suffocantes car accompagnées d’un taux d’humidité proche de 100%.

La Bike Week, au-delà de concentrer de nombreuses compétitions sportives (course de vitesse des 200 miles, courses d’anciennes, Flat Track, Supercross, Quad, etc.) durant 10 jours, c’est d’abord une immense concentration de motards qui convergent vers ce coin de Floride, sans autre but – ou si peu – que de faire partie intégrante du spectacle. Parce que la Bike Week, c’est une parade permanente, une sorte de carnaval pour grands où chacun enfile le temps d’un instant son costume de parfait biker, pour son plus grand plaisir, celui des autres participants comme des badauds. Aux mines souvent patibulaires des hommes qui ajoutent à leurs blousons et gilets de cuirs des artifices indispensables, tels que barbes, tatouages, et boucles d’oreilles, les filles n’ont souvent pas peur de se dévoiler dans une tunique autrement plus sexy. Enfin, parfois, qui se voudrait sexy… mais qui ne l’est pas toujours. On ne comprend pas toujours où certains strings veulent en venir… Sûrement pas bien loin, juste un écho aux excès ambiant.

La démesure, et un événement aux dimensions XXL, où les chromes scintillent de mille feux, où les franges bien peignées des valises en cuir flottent au vent en cadence, comme d’ailleurs les cheveux de la plupart des motard(e)s qui ont remisé le casque dans leur housse, en toute légalité, dans cet État de Floride. Pour toute protection, au mieux un bandana, toujours des lunettes de soleil, éventuellement (mais rarement) des gants, un blouson, un jean, des bottes ou des baskets, un string… Le string, on y revient toujours… Un spectacle surprenant que de doubler des cohortes de motards si peu protégés.

La première journée, on se dit qu’ils sont complètement dingues. La seconde, on se dit que s’ils le sont effectivement, rapport au fait que le risque zéro n’existe pas (et qu’en cas de chute sans casque…) c’est malgré tout dans cet environnement et dans ce contexte que les risques sont les plus limités. Une pratique apaisée où les vitesses sont respectées, ou l’on ne se double pas, ou si peu, ou l’on ne remonte pas les files de voitures, s’astreignant à rester bloquer derrière les bagnoles le temps qu’il faut, peu importe la force des rayons du soleil. Et au mois de mars, ça cogne déjà gentiment, entre 25 et 30° à l’ombre (mais il est rare de trouver de l’ombre planté au milieu d’une route). Donc, dans ces longues cohortes immobiles, on cuit des bras, des cuisses, et du crâne… Du crâne oui, car nombreux parmi ces bikers d’un jour ne sont plus des perdreaux de l’année… Sur le haut de l’occiput, un cercle de peau rougit indique l’endroit où, jadis, les mèches flottaient au vent…

Aujourd’hui, même quand il en reste, les cheveux ne sont pas souvent longs, car parmi cette foule bigarrée de bikers, très rares sont ceux qui portent le costume de cuir à l’année. Dès la Bike Week terminée, l’immense majorité le remisera pour réenfiler celui d’avocat, de chef d’entreprise, de dentiste, de salarié, d’ouvrier… Depuis longtemps, les « bikers » sauvages, ceux qui appartenaient à des gangs venant s’affronter ont déserté l’endroit. Autrefois, le rassemblement de Daytona était celui des mauvais garçons, l’occasion pour des bandes rivales de déclencher des bagarres qui terminaient souvent dans le sang. Depuis 1986 et la création d’une unité de force de police spécialement dédiée à la manifestation, le calme est revenu, les tensions ont disparu en même temps que les bandes, et la cohabitation avec les riverains s’est normalisée… Aujourd’hui, l’ambiance est carrément bon enfant. Heurtez la large épaule tatouée d’un biker sur un trottoir étriqué de Main Street et immanquablement, c’est lui qui s’excusera. Même aux heures avancées de la soirée, même après que la bière a coulé plus que de raison, pas de bagarre, pas même de discussion houleuse. De larges rires, ça oui, des rires allant jusqu’à couvrir les décibels des concerts pourtant bruyants donnés dans chacun des bars de l’artère principal où tout se joue.

Daytona, on y vient pour se montrer. Et le show prend place partout dans la ville, il suffit de poser son pliant pour profiter du spectacle. Des customs en immense majorité, et parmi eux, un maximum d’Harley Davidson même si l’on voit aussi beaucoup d’Indian, des Victory. Curieusement, dans un pays où la police est omniprésente, où les limitations de vitesse sont respectées, les Suzuki Hayabusa fleurissent sur le bitume. Des modèles aux bras oscillants allongés, largement customisés, qui participent au multi culturalisme de la Bike Week. Si l’on voit tous les styles de moto, le genre roi est bien le custom, la marque reine Harley Davidson. C’est cet esprit qui flotte sur Daytona, celui du chrome lustré… Un travail à temps plein pour tous ces « bikers » durant cette semaine. Tous les matins, au pied de le leur chambre d’hôtel, les propriétaires briquent leurs motos pourtant déjà propres. Ils ne se montrent avare, ni d’huile de coude, ni de chiffon, ni de produit, le tout bien rangé (pas l’huile de coude…) dans l’immense remorque, tiré par un énorme 4 x 4, qui aura permis l’acheminement de leur moto jusqu’à Daytona… Car la route, la plupart ne la font pas à moto, mais en voiture, ou en avion, louant sur place une moto pour devenir acteur de la fête. D’ailleurs, certaines motos ne permettraient pas d’avaler des kilomètres, à cause d’une position bien trop radicale, de l’absence totale de confort, d’une garde au sol ridicule (moins de 2 cm parfois) induite par des ajouts de carrosserie obligeant quasiment le véhicule à ne jamais tourner, ou à le faire sans prendre un degré d’angle. L’apparat, la frime à plein tube, l’étalage, la communion aussi, voilà ce que vient chercher à Daytona une large majorité de bikers.

En bref, on vient frimer… Oui, clairement, on frime tranquille, on affiche ses chromes comme ses tatouages ou les fesses de sa copine. On affiche, mais dans une certaine limite. En témoigne la scène cocasse à laquelle j’ai assisté. Une jolie demoiselle portant fièrement le string depuis le strapontin qui lui servait de selle sur sa sportive - pour le plus grand plaisir des spectateurs témoins de cette apparition - se hâtant de revêtir un pantalon une fois redevenue piétonne. Comme si ne faisant plus partie de la parade, il était temps d’abandonner son (léger) costume de scène. Oui, cette scène résume plutôt bien l’esprit Bike Week. Le carnaval des grands qui lâchent un peu la bride l’espace de quelques instants, heureux de jouer à la Pin-Up provocante ou au mauvais garçon. Et on vient de tout le pays pour partager cet esprit : de Californie, de New York, de Pennsylvanie, mais aussi de bien plus loin, du Canada, d’Europe…

Pour beaucoup, rouler sur Main Street représente quelque chose d’important dans une vie de motard. Main Street, autrement dit la rue principale, pour une rue aux dimensions au final assez banales, pas très large, pas très longue, une rue qui posée ailleurs serait insignifiante mais qui dans cet environnement, le temps d’une dizaine de jours, revêt un caractère quasi mystique.

La première fois que je me suis baladé dans cette artère, c’était en 2001, la dernière en 2017. Depuis bientôt 20 ans, rien n’a vraiment changé. Les Harley ressemblent toujours aux Harley, les tatouages aux tatouages, le cuir au cuir, les seins aux seins, et la bière a toujours un goût de bière… Et pourtant, je me dis qu’il faudra que j’y retourne... Une Bike Week immuable, légère et colorée, comme une piqûre de rappel. L’antidote a pas mal de choses, pile dans l’air du temps en somme.

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